Carne. Julia Richard

Qu’on se le dise, je n’étais pas très attirée par la couverture de Carne, écrit par Julia Richard. Pourtant, après avoir lu la chronique de Zoé prend la plume, j’ai pensé qu’il serait dommage de passer à côté de ce roman qui promet de l’étrange, de l’humour et du zombie. Alors, pourquoi pas ?

Carne - Julia Richard

L’histoire

« Ok Google, ça correspond à combien de calories un corps humain ? »

Simon ne va pas bien. D’ailleurs, depuis qu’il s’est mis à vouloir manger de l’humain, les choses ne tournent pas bien rond dans sa tête. Face à une société qui les traite, lui et ses congénères, comme des zombies, il fait de son mieux pour garder sa dignité, s’occuper de sa famille et être professionnel au bureau. Mais comment rester soi-même quand la faim frappe à la porte avec autant de délicatesse qu’un tank sur un champ de mines ?
Contraint à gérer son état parasite en maintenant l’illusion de la routine, il décide d’en faire une histoire de famille. Et vous savez ce qu’on dit sur les histoires de famille ? C’est toujours un sacré bordel.

Mon avis

Pour être honnête, oubliez tout de suite l’image du zombie mollasson, les bras ballants, dénué de toute capacité intellectuelle et bavant à la vue d’une cervelle fraiche sur pattes. Non, avec ce roman Julia Richard nous offre la rencontre de Simon, la quarantaine, père de deux enfants, heureux en mariage et satisfait de son quotidien. Une vie paisible, ou presque. Car depuis quelques temps, il a envie de chair tendre et juteuse. Pourquoi ? Il ne sait pas vraiment. C’est venu comme ça, comme un mauvais rhume, une sale grippe, pourtant aucun signe physique ne laisse entrevoir son état. C’est arrivé, voilà tout. Et c’est Simon lui-même qui va nous livrer sa version des faits comme il la perçoit, et c’est là que toute l’originalité du roman prend forme.

Vous aimez les histoires structurées, avec des chapitres qui se terminent en vous offrant la promesse que le suivant apportera les réponses tant attendues ? Eh bien, l’auteure se joue de nous avec Carne. Tout est aussi chamboulé que la mémoire de Simon. Nous passons du chapitre -1 au chapitre 5, pour continuer au chapitre 23 et revenir ensuite au numéro 4. Au début, c’est assez perturbant, on découvre des morceaux, des bribes de l’existence de Simon sans suite linéaire précise. Mais c’est assurément futé, ce principe atypique fonctionne ! On alterne donc entre moments de semi-lucidité, envies primaires et souvenirs plus très frais. Aussi étrange que cela puisse paraitre, ça marche. On aperçoit d’autant plus la transformation et les sentiments contradictoires qui se sont créés chez cet homme suite à ce statut de prédateur qu’il doit maintenant accepter.

Carne - Couverture

J’ai l’impression d’être Alice en plein bad trip. Je comprends que si je goûte cette belle peau veloutée, je ne m’en remettrai pas. Si je mâche ces yeux noirs comme de la délicieuse réglisse, si je suce cette langue et croque ce nez, ça sera une extase si exquise que je sombrerai dans une dépendance gluante qui m’embourbera dans la folie.

Chapitre 5

Alors oui, notre protagoniste est devenu une sorte de zombie, un carnivore qui ne contrôle plus son besoin de viande et d’hémoglobine. Mais il n’est pas le seul, car je vous le disais, c’est arrivé comme une mauvaise toux, et la pathologie s’étend à d’autres citoyens. Ce livre étant publié en Juin 2020, je n’ai pas pu m’empêcher de faire le lien avec la situation sanitaire que nous avons connue depuis cette année là. Gestion de crise, état d’urgence, déchainement médiatique, traitement des malades, contrôle de la propagation, … Il y a de quoi faire quelques petites comparaisons ! Mais une question se pose surtout, c’est la capacité de l’être humain à réagir face à une situation inédite et dangereuse. Il y a bien évidemment la peur, la tristesse, la paranoïa pour certains. Mais aussi des réactions plus virulentes, appelant à la violence, la délation ou encore le voyeurisme malsain. Finalement, on peut se demander où s’arrête l’homme pour laisser place au monstre ? Et surtout, a-t-on vraiment besoin d’une apocalypse pour voir le mal qui effleure déjà notre population ?

Souvent glauque, parfois dérangeant (et sacrément dérangé) mais délicieusement mordant, ce roman m’a bien fait rire malgré son étendue macabre. L’écriture est faite d’un humour cru, noir et assez cocasse, avec des situations aussi délirantes que sanglantes. Le mélange des mots, les expressions utilisées et les images qu’on nous inflige sont à la fois cruels et saugrenus. Cela dit, attention aux âmes sensibles, car si les viscères et autres abats vous rebutent, la couverture est un aperçu éloquent du menu. Et si notre personnage lui-même en perd parfois son latin, il ne manque pas d’imagination pour autant. Comme ses petites recettes improvisées avec panache, qui donnerait certainement envie à Hannibal Lecter de s’asseoir à sa table.

Ce livre n’est peut-être pas fait pour tous les palais, mais si vous souhaitez vous mettre en appétit, Julia Richard offre ici une histoire surprenante mettant en avant les dérives de la société, dans un univers drôle et déroutant. De mon côté, j’ai dégusté cet étrange entremet avec plaisir.

Alors, ce roman vous fait-il envie ?

« Carne » de Julia Richard.
Éditions de l’Homme Sans Nom, 2020.

32 Commentaires sur “Carne. Julia Richard

  1. ouh pas pour moi ^^ j’ai du mal avec le cannibalisme (même si je regarde avec plaisir – et dégoût – la série Hannibal :P) merci pour cette présentation 🙂

    1. Pour Hannibal, je te comprend totalement ! La série a ce petit quelque chose d’envoutant, l’esthétisme est très soigné aussi. 🙂 Pour ce roman, on est plutôt dans l’ambiance steak tartare et bonne franquette comparé à l’aspect distingué du Dr Lecter. 🤭 Mais l’humour décalé rend l’expérience savoureuse tout de même !

    1. Pour celui-ci, on est vraiment sur un public adulte, avec option « estomac bien accroché » 😝 C’est décalé, déjanté mais l’auteure a su se montrer généreuse en hémoglobine et en entrailles, alors vaut mieux rester prudent. 🤭

  2. Et bien moi au contraire, je suis fan de la couverture ! Je mets ce livre dans ma wishlist en espérant le lire bientôt.
    Merci pour la découverte 🙂

    1. Qu’on aime ou non cette couverture, elle a mérite d’attirer le regard en tout cas. 😉 Je t’en prie, c’est avec plaisir pour la découverte, en espérant que cette histoire originale te plaise également ! 🙂

  3. J’avoue que cette couverture n’est pas la plus sexy 😅
    En tout cas, c’est bien que l’image du zombie soit dépoussiérée. Mais je suis peut être un peu trop sensible pour lire ce livre…

    1. Ca c’est le moins qu’on puisse dire pour la couverture, je te l’accorde Aurélie ! 😆 Et pour être dépoussiérée, elle est même très rafraîchie cette image de zombie, mais si tu as peur d’être trop sensible, je ne peux que comprendre. Malgré l’humour et le côté décalé, l’auteure a été généreuse en hémoglobine dans ce roman. 😇

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